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10/06/2015

#22CR Carnets de retraite : Désespoir de Virginia

#22CR Carnets de retraite : Désespoir de Virginia

Désespoir de Virginia.

Elle s'enfonça dans la rivière, des cailloux dans les poches. 
Elle esthétisa jusqu'à sa propre mort, dans une mise en scène cinématographique, scénographiant sa fin de vie, voulue.

Pauvre Virginia.

J'écris dans ma chambre, dans notre chambre. Il dort à mes côtés, le corps chaud et doux à ma portée. J'entends son souffle régulier. Je ne suis pas seule. Je partage sa couche, son souffle, son odeur.

Je n'ai pas besoin d'une chambre à moi pour écrire. 

J'ai besoin de temps à moi. 

Ce temps que je vole à la nuit, je le rattraperai demain matin, quand il sera parti au labeur. Je dormirai seule. Je veille avec lui auprès de mon flanc. Douceur de l'écriture de nuit, auprès de mon amant, mon ami, mon mari, auprès de mon élu, l'élu de mon cœur, l'élu de mon cul. Nous n'avons pas fait l'amour. Nous avons ri, parlé, vaqué à nos occupations séparément. Il travaille encore. Moi pas. Je peux enfin voler du temps à moi sans mettre mon corps et mon esprit en danger. Je dormirai demain matin. Ce soir, je lis, j'écris, je lirai peut-être encore.

J'ai le temps pour moi.

J'ai du temps à moi.

Un luxe que n'a pas connu Virginia.

Elle a laissé une œuvre, fasciné des générations de femmes jalouses de leur indépendance radicale. 

Le désespoir de Virginia est son erreur.

Croire à l'espace davantage qu'au temps, au confort matériel davantage qu'à la simplicité de l'intangible.

Les femmes que j'ai connues qui aimaient Virginia Woolf traînaient toutes la même ambition dévorante, la même tristesse pérenne, la même jalousie des autres femmes, la même violence rentrée, toujours prêtes à dégainer. 

Sauf une. 

Car elle ne faisait pas de fixation sur Virginia, pas exclusivement. Pas plus que moi. Ou peut-être tout juste un peu plus. Bien davantage même. Ce qui l'intéressait était la phrase de Virginia. Pas son message explicite. Elle s'intéressait à sa syntaxe, pas à sa thématique. Elle ne soignait pas sa détresse auprès de Virginia. Elle ne respirait pas la détresse.

Quelque chose m'a toujours dérangée chez Virginia et ses zélatrices. Je n'avais pas compris quoi.

Je ne le sais toujours pas.

Ce que je crois savoir, à cette heure de la nuit, alors que j'écris auprès de l'aimé, c'est que la question n'est pas celle de l'espace, de l'immobilier, un luxe de bourgeoise, mais celle du temps et de l'importance que l'on accorde aux choses et aux êtres.

L'erreur de Virginia fut peut-être d'avoir cru à la matérialité du bâtiment bien davantage qu'à la matérialité du sentiment. Ce n'était pas une erreur. Ce fut un désespoir de ne pas accéder à l'immatérialité du temps, à la matérialité des corps aimants.

Immatérialité du sentiment.

© Simone Rinzler - 6 octobre 2015 - Tous droits réservés 

Simone veille cette nuit À L'Atelier de L'Espère-Luette



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